Philippines, art, échanges et mondialisation avant l'heure

Couple de "bulul" (province d'Ifugao, XIXe siècle), divinités du riz en bois de "narra", avec patine de résine et de sang, cordillère de Luzon. © musée du quai Branly, photo Claude Germain/Collection Alain Schoffel 

Guerrier Kalinga portant sa hache et ses plumes lawi. son buste soigneusement tatoué signe son courage © musée du quai Branly

Etape indispensable sur les routes maritimes reliant la Chine, l'Asie du Sud-Est et l'Indonésie au détroit de Malacca, l'archipel des Philippines est au coeur d'une dynamique d'échanges dont témoignent migrations successives et pratique du troc : sel et vanneries, nacre contre perles vénitiennes ou jarres d'importation chinoises. La mer, puissant catalyseur favorisant la circulation des objets, des idées et des hommes. Magellan ne s'y était pas trompé ! Au musée du quai Branly les deux commissaires de ce panorama éblouissant d'une civilisation encore méconnue en France, Constance de Monbrison appartenant à une dynastie d'experts en arts premiers à la tête des collections Insulinde à Paris et Corazon Alvina anthropologue et ancienne directrice du National Museum of the Philippines à Manille se sont penchées sur plus de 300 oeuvres de la période préhispanique exclusivement, offrant un rare aperçu des trois principales institutions muséales des Philippines et des collections privées qui y nombreuses. Un ambitieux projet qui signe une coopération culturelle exceptionnelle entre les deux pays. Le résultat est à la hauteur des défis rencontrés, selon que l'on regarde vers la terre (art des Hautes Terres de Luçon et de Mindanao et empreintes austronésiennes) ou vers la mer (myriade de 7000 îles où l'or abonde). D'entrée de jeu nous sommes plongés dans l'univers des Ifugao remarquables sculpteurs qui possèdent un vaste panthéon de divinités parmi lesquelles celles du riz les "bulul"liés à la fertilité. Sculptés par paires ils incarnent les principes d'union et de réciprocité des énergies masculines et féminines en accord avec leur vision du monde. Les cérémonies où ils interviennent sont menées par un expert en rituels le mumbaki que l'on retrouve dans d'autres contextes : guérison, interprétation des rêves, magie noire à travers notamment les boîtes rituelles ou punamhan. Une autre coutume mérite d'être soulignée : la chasse aux têtes humaines, rite de passage pour le jeune homme et l'ornementation corporelle (coiffes des hommes, bijoux des femmes). Le tout traduisant une organisation sociale codée et complexe qui se décline dans les arts : tissage, vannerie, travail du métal et du bois. Les guerriers des Hautes Terres de Mindanao qui bénéficiaient de prestige et privilèges portaient habits somptueux, armes cérémonielles et coiffes d'apparat.

L'art des populations côtières des Basses Terres (2è volet de l'exposition) regarde le large et les jonques assurent la diffusion d'objets de prestige tandis que l'or et la maîtrise technique des orfèvres assurent le maintien du statut social des Basses Terres et un système d'échanges abouti. L'arrivée de l'islam et plus tard l'établissement de sultanats auront une répercussion forte dans des arts qui continueront cependant d'afficher leurs particularités, comme celle de l'arabesque ou "ukkir". L'exposition s'achève sur les objets funéraires issus des fouilles archéologiques comme ces jarres funéraires préhistoriques qui témoignent de l'excellence artistique des Philippins de cette époque. Il était donc légitime de leur rendre hommage pour leur contribution majeure aux vastes royaumes d'Asie du Sud Est et des îles du Pacifique. Impliqués dans un vaste réseau commercial maritime où marchands et explorateurs se disputent les découvertes, leur patrimoine d'une densité exceptionnelle est l'objet d'un regain d'intérêt actuel. Un âge d'or plébicité par les visiteurs émerveillés d'une exposition qui fera date !

Colloque International les 25 et 26 avril 2013 "La situation actuelle et l'avenir des peuples indigènes des Philippines, de leurs cultures et de leurs traditions"

Les Rendez vous du salon de lecture Jacques Kerchache : arts contemporains aux Philippines, un après-midi sur les Philippines, une histoire du cinéma philippin, la bande dessinée aux Philippines,...

Pour prolonger votre voyage, ne manquez pas l'exposition un artiste voyageur en Micronésie, l'univers flottant de Paul Jacoulet.