Elisabeth de Senneville, l'Andy Warhol du stylisme

A l'heure où ouvre à Pompidou l'exposition Roy Lichtenstein il est bon de se pencher sur une créatrice française hors norme Elisabeth de Senneville dont le musée de la Piscineà Roubaix célèbre l'avant-gardisme et les filiations avec toute la scène artistique des années Pop et au-delà, Warhol l'ayant même interviewé à propos de l'une de ses innovations : le roman-photo. Styliste, "techno designer" comme elle se définit elle-même, elle commence dès 1972 des collections d'imprimés basées sur ses recherches graphiques par ordinateur, ce qui lui vaut le succès immédiat. Des images agrandies, dédoublées, travesties où sont domestiqués les codes de l'histoire de l'art et images de la société (la parenté avec Lichtenstein tient toujours). Un style nait au fil des voyages et d'une vie de bohème. La nuit, les rues, New York, le rock. Effervescence, euphorie des couleurs, la jeune femme est en quête d'inspirations venues d'ailleurs, la Chine notamment puisqu'elle est la première à imposer le col Mao. Des vêtements simples en adéquation avec leur temps et pourtant des matériaux très surprenants ! car dès le début elle choisit l'exigence du futur. Hologrammes, fibres optiques tissées, néoprènes, micro-encapsulation pour en dégager les porosités comme des matières vivantes, animées. Des passerelles qui la conduisent tout naturellement à l'innovation qu'elle mène avec de nombreux laboratoires et vend à des clients prestigieux. Les Aéroports de Paris, Nissan mais aussi Arche ou B'twin s'arrachent ses idées. Ainsi de la douloureuse fermeture de ses boutiques en 2000 elle signe un nouveau départ aux côtés des ingénieurs et chercheurs pour penser des tissus "intelligents"en réponse à notre besoin toujours plus grand de protection et de bien-être face aux menaces qui nous entourent. Textiles antipollution, photoluminescents, à effets dynamisants sur le corps, elle reçoit le Prix de l'Innovation en 2003 et enseigne à l'Ecole des arts décoratifs après avoir été invitée au prestigieux MIT ou à la Parson's que l'on ne présente pas. C'est donc très symbolique que la Piscine qui cultive une porosité assumée entre arts appliqués et beaux arts (pour reprendre les propos de la commissaire de l'exposition Sylvette Botella-Gaudichon) choisisse de porter un nouvel éclairage "arrêt sur image(s)"sur cette visionnaire dans une ville Roubaix, très fortement marquée par l'empreinte du textile. La scénographie signée Frédérique Danneels-Bécue privilégie la contemplation et les interférences subtiles entre les univers de la plasticienne qui a toujours fonctionné comme une Factory dès l'ouverture de sa boutique rue de Turbigo en invitant d'autres créateurs à exposer tels que Loulou Picasso, Malaval, le groupe Bazooka...un mixage que l'on retrouve sur les tables dressées tels des podiums autour de plus de 200 pièces de textiles, alors que défilent au plafond vidéos et photos en continu. Un hommage très graphique et rafraîchissant pour une prophète du made in France. A l'étage et sur la coursive de la piscine proprement dite sont présentés une partie des 300 vêtements de la créatrice appartenant aux collections textiles de ce musée atypique et généreux.

En parallèle et dans un tout autre registre, découvrez une figure incontournable du Groupe de Roubaix de l'après-guerre Jean Roulland le démiruge torturé du bronze et aussi Anna Quinquaud, exploratrice du continent africain dans les années 30 dont l'incroyable épopée est magistralement retracée par Anne Heim, historienne et spécialiste de son oeuvre.

Bref trois raisons au moins pour revenir à la Piscine dont on ne se lasse pas !