Frac Pays de la Loire : 30 ans de rayonnement et de belles sculptures contemporaines

Ernesto Sartori Chez G.et D. grosse maquette, 2010 Bois peint 250x460x433 cm collection Frac des Pays de la Loire

Lucy Skaer Black Alphabet (after Brancusi) 2008 Résine et poussière de charbon 26 éléments : 136x11,5 cm chacun collection Frac des Pays de la Loire

Mick Peter Not Mary, 2011 Matériaux divers (jesmonite, tubes de plastique, bois, objet) 180x150x50 cm collection Frac des Pays de la Loire

A l'occasion de la célébration nationale du 30è anniversaire, chaque Frac offre carte blanche à un artiste et créé l'événement autour de ses collections ou d'un bâtiment nouvelle génération (à Marseille et en Franche Comté récemment). A Nantes il s'agissait de signer la sédentarisation d'une collection nomade riche de plus de 1400 oeuvres. Cela se traduit et se décline en deux temps, d'une part à la HAB galerie en centre ville autour d'une centaine d'oeuvres sculpturales historiques ou plus récentes et à Carquefouà la périphérie mais proche de la nature dans ce lieu précurseur inauguré il y a 10 ans revisité par l'artiste Marc-Camille Chaimowicz autour d'une soixantaine d'oeuvre "en suspension". Empruntant son titre à une oeuvre de Pierrick Sorin "de belles sculptures contemporaines" prétend-il "se nourrissent de lait" cette brève séquence tournée en Super 8 traduit cet état d'esprit malléable que l'on doit avoir en entrant à la HAB galerie. Signalée par le nain de jardin géant de Présence Panchounette dont l'insoumission est une marque de fabrique ou le panneau résidentiel muni du logo Frac planté par François Curlet lors de sa résidence à domicile comme le rappelle Laurence Gateau directrice du Frac l'exposition aux antipodes de la chronologie rend visibles certains enjeux majeurs de la sculpture contemporaine tels que  : 

-ses relations avec la peinture (superbe plexiglas coloré de Stéphane Dafflon qui reprend les formes historiques de l'abstraction, multitude de pigments évanescents chez Anish Kapoor, Bloc-cuisine de Jean-Michel Sanejouand déchargés, cellule architecturale d'Ernesto Sartori);

-l'ambiguïté entre sculpture, objet et mobilier (Bertrand Lavier et le rady-made détourné, John Armleder et les formes archétypales des avant-gardes combinées à du mobilier kitsch, Bruno Peinado et le recyclage de créolisation des signes, les répliques de Brancusi par Lucy Skaer)

-le rapport à la statuaire (Hans Peter Feldmann) au monument (Raymond Hains Socle de la statue équestre de Louis XIV place Bellecourt à Lyon, série Lemot passe à travers) à l'histoire (Braco Dimitrijevic, Jiri Kovanda ou chez les plus jeunes Falke Pisano et Bojan Sarcevic) ;

-la dimension performative (gina pane "souvenir enroulé d'un matin bleu" et Falke Pisano conférences-performances "Figures of speech") 

-Minimalisme et ses suites très belle section avec des oeuvres de Fred Sandback, Ann Veronica Janssens, Katinka Bock, Mélanie Counsell, Bojan Sarcevic et Thea Djordjadze (superbe installation entre légèreté et épure). 

Difficile de circonscrire toutes les porosités de ce médium et ses problématiques magistralement mises en oeuvre dans ce Hangar 21 plus connu sous son nom historique de Hanger à bannanes de 1400 m2 réhabilité et géré par le Voyage à Nantes qui accueille chaque année 3 ou 4 expositions que se répartissent ses partenaires : l'Ecole supérieure des beaux-arts de Nantes Métropole, le Musée des beaux-arts de Nantes, et le Frac Pays de la Loire.

Place à présent à Marc Camille Chaimowicz artiste franco-britannique d'origine polonaise qui nous dévoile à Carquefou au Frac les motifs récurrents de sa démarche artistique selon le principe d'un appartement de collectionneur sur des murs "flottants" où vient se poser sa sélection d'oeuvres. Recto-verso ces cloisons donnent l'impression d'un espace domestique intime, un entre-deux indéterminé où l'on va de surprise en surprise. Les fleurs du papier-peint géant qui nous accueille dans le hall d'entrée se retrouvent dans les tapisseries photographiées d'Annette Kelm et la palette des couleurs pastel chère à l'artiste se décline sur les cimaises pour mieux jouer avec son histoire revue du monochrome (Alighiero Boetti, Bruno Peinado, Ann Veronica Janssens, Ettore Spalletti). Il est aussi question du portrait avec Andy Warhol d'entrée de jeu, Jean-Luc Blanc et Dominique Gonzalez-Foerster "Bienvenue à ce que vous croyez voir" ou la saga de Gabrielle Maubrie, galeriste aux vies multiples. La performance revient aussi dans cette sélection avec l'oeuvre radicale de gina pane "Azione sentimentale" ou d'Ion Grigorescu artiste roumain redécouvert actif dans le body art.

La fragilité, le transitoire et le précieux conduisent à une réflexion subtile sur le temps qui passe avec le carosse doré et éphémère de Patrick Neu ou les larves de trichoptères en or d'Hubert Duprat. Pastiche et décadence avec le "Tombeau pour Hérault des Séchelles" de Présence Panchounette qui cohabite avec la nature morte épinglée au mur de Jim Hodges "Through this" dans un habile chassé croisé, voici la pièce de l'appartement où j'habiterais volontiers ! Il faudrait citer encore le "mètre carré de rouge à lèvres" de Fabrice Hyber, dont on connait le succès, ou les questionnements induits par Barry Flanagan ou encore les rêveries bucoliques de Marie Denis. 

Quand on connait la cote actuelle de nombreux artistes présents on se dit que le comité technique d'achat du Frac a eu une réelle exigeance et une cohérence qui se retrouve en filigrane de chaque manifestation. Une collection entre continuité et ouverture. Carquefou comme laboratoire avec notamment les Ateliers internationaux peut être fier d'avoir transformé l'errance du départ en un socle de défi citoyen d'un territoire qui dépasse largement la région des Pays de la Loire comme cela sera bientôt démontré à Toulouse aux Abattoirs avec un condensé hexagonal de la "collection des collections" !